samedi 29 août 2015

Entretien avec Pfreud

projetacrylique

L’incroyable collaboration d’un DJ avec un peintre

Publié le août 27th, 2015 | par Aken pour djtuto magazine

Électro-Acrylique est un projet fou né il y a deux ans dans la tête du peintre Montréalais Alec Stephani. L’idée ? Transformer ses coups de peinture en musique, peindre devant un public et générer de la musique électronique en live. Lorsqu’il en parle à Fréderic Laurier, alias Pfreud, un DJ renommé de Montréal, celui-ci embarque presque aussitôt. Après qu’ils aient joué au prestigieux festival de musique électronique AIM cette année, j’ai proposé à Pfreud de nous en dire plus sur leur démarche multidisciplinaire unique. Comment on transforme de la peinture en musique ? Est-ce que ça groove ? En exclusivité pour Djtuto.fr, l’artiste nous dévoile les coulisses du projet : le concept, les méthodes, les contrôleurs, les plugins, tout ! Bonne lecture.

 

Genèse du projet

Pfreud est un DJ et designer sonore depuis maintenant plus de 20 ans. Débutant comme animateur d’une radio locale, il s’est petit à petit fait une place dans les nuits montréalaises en tant que DJ de musique house. Aujourd’hui résident au bar Laïka, il partage son temps de musicien entre la composition chez lui, la pratique DJ et le récent projet live Électro-Acrylique.
Avant de commencer ce projet il y a deux ans, je n’avais jamais joué live, je composais de la musique à la maison seulement. L’idée vient d’Alec. C’est un peintre qui avait envie de faire du son avec ses brosses. Un ami qui nous connait tous les deux lui a dit « Tu devrais peut-être en parler avec Fred, il pourrait t’aider pour ton projet ». J’ai dit ton projet il est freakout, complètement, c’est capoté. J’ai envie de t’aider là-dessus mais je n’ai jamais fait de musique live. Donc continue à chercher ton monde, si tu trouves quelqu’un vas-y, puis moi je vais continuer à chercher des idées de mon bord. Puis finalement je l’ai rappelé quelques temps après et je lui ai dit « Je pense que j’ai une idée ! Tu as trouvé quelqu’un ? » Il m’a répondu que non. Alors on a essayé et on a vu que ça pouvait marcher, et ça fait deux ans qu’on le développe là.

 

Méthode de création

Le setup commence avec une toile montée sur un chevalet. À l’arrière de celui-ci 4 capteurs piézoélectriques sont disposés afin de transmettre à la carte son de Pfreud le flux audio généré par l’outil (crayon, pinceau, etc.) entrant au contact avec la toile. Le DJ applique alors au son un des nombreux effets qu’il a préparé. Quand il le désire, au feeling, il enregistre l’action du peintre sur une des 7 pistes prévues dans Ableton Live à l’aide d’un APC40.
L’APC40 me permet d’avoir un touché instantané lorsque je veux enregistrer les coups de pinceau du peintre. Lui peint dans le rythme :  il fait un « loop » et quand j’aime ça, j’active un footswitch qui allume une lumière en haut de son chevalet et qui signifie « Continue ta motion je t’enregistre ». Là il continue sa motion, puis sur l’APC40 j’enregistre sur un pad avec « record start » et « record stop ». J’utilise aussi ma souris trackball et ses 4 boutons auxquels j’ai assigné des raccourcis. Quand le peintre est un peu offbeat, je quantize à 80/85 % pour garder un peu de swing. Il y a aussi un bouton « select all » et un bouton « enter », comme ça je touche jamais au clavier. Je ne veux pas toucher au clavier parce qu’il y a un bouton qui est vraiment dangereux dessus, c’est le bouton « stop » (barre d’espace), ça m’est arrivé une fois d’appuyer dessus en live et tout s’est arrêté, ça c’est mortel…. Il devrait y avoir une fonction « desactiver spacebar » dans Live !
L’APC40 n’est pas l’unique contrôleur de Pfreud pour ce projet. Pour avoir un accès direct à un maximum de fonctions dans Live, il utilise également un Novation Launchcontrol, un Behringer BCR2000, un M-Audio Oxygen 8, un Faderfox LD2, un Maschine MKII en mode MIDI et un AKAÏ LPK25.

Contrôleurs MIDI de Pfreud 
Tous ces contrôleurs sont donc reliés à Ableton Live 9, puisque pratiquement tout se passe au niveau du logiciel. Il peut ainsi contrôler avec un timing parfait l’enregistrement et l’agencement des boucles audio, mais aussi choisir d’appliquer à tout moment n’importe quel effet parmi tous ceux qu’il a préparé avant le show. Dans la palette des effets sonores appliqués au son de brosse envoyé par le peintre, on retrouvera différents délais, réverbérations, un vocodeur, Molekular (NI), Corpus (Ableton), etc.


Mais le peintre ne fait pas que générer du son par le biais du frottement, il donne également des coups sur sa toile ! Ces coups sont captés avec un deuxième type de capteurs1, des senseurs piézoélectriques qui vont traduire l’impulsion en signal midi et activer des sons de drums situés dans un synthétiseur analogique Nord Drum.
En arrière de son chevalet, il y a deux piézo qui sont des trigger audio to midi. Quand il donne un coup à gauche, ça va déclencher un kick dans le Nord Drum. Alec, c’est un designer industriel, donc c’est lui qui a conçu son chevalet… quand on a envie de quelque chose, il le fabrique ! Il est top la dessus. Il a fait un truc super cool : dans un des pots de peinture, il a fait un trou pour mettre un jack 1/4, puis il a mis un piézo a l’intérieur. Donc quand il met un coup sur le pot de peinture, le piézo capte et envoie un signal MIDI au Nord Drum et ca fait un hi-hat.

 

Préparation vs improvisation

Que vous soyez musicien live ou DJ traditionnel, vous choisissez toujours votre degré de préparation. Typiquement quand vous mixez des tracks à une soirée, vous allez probablement avoir un certain nombre d’enchaînements en mémoire, des binômes dont vous savez qu’ils fonctionnent, des timings que vous avez déjà travaillé, etc. Puis vous avez aussi votre bibliothèque, plus ou moins bien organisée, qui va vous permettre d’improviser au fil de la soirée. Certains préparent leur set en entier au millimètre, d’autres y vont entièrement au feeling, des fois cela dépend de la soirée… En ce qui concerne la pratique live, le problème est à la fois similaire et infiniment plus complexe.
Similaire parce qu’il y a aussi, dans la pratique live, tout un continuum entre le show méticuleusement préparé (souvenez-vous de notre entrevue avec le controllerist du groupe Örfaz) et le show au feeling, mais infiniment plus complexe car le live est une pratique très riche qui peut impliquer des domaines de compétences musicales très variées, telles que la composition, le jeu instrumental ou encore… la peinture !
Comment gère-t-on cette dimension dans un projet live ? Comment délimite-t-on la partie préparée de la partie improvisée ? J’ai donc naturellement demandé à Pfreud comment était organisé le projet Électro-Acrylique sur ce plan, à savoir, s’il y a une dimension improvisée pendant le show et sur quoi repose essentiellement la partie préparée.
Il y a complètement une dimension improvisée ! C’est toujours de l’improvisation. Alec, c’est de la peinture en direct et il sait pas ce qu’il va peindre, on sait que c’est pas quelque chose de concret, on sait que c’est pas un set de table ou une nature morte. C’est de la peinture abstraite. Musicalement, ça groove, nous deux on aime ça groover, mais on ne sait pas vraiment quelle direction on prend. La dimension préparée, c’est les filtres dans lesquels je fais passer le son de brosse. Exemple : je veux passer les brosses dans un vocoder. Le son que ça fait, c’est comme l’épée de Star Wars… « ziou viouuu », complètement débile ! Donc sur un de mes contrôleurs j’active le preset que j’ai déjà mis dans Live. Dans mon template Live prévu pour le show, tout est déjà routé en interne, tous les plugins sont inactifs au départ et quand je désire un filtre j’appuie sur un bouton du contrôleur pour l’activer. J’ai des knobs partout, du tape partout, j’ai des trucs écrits partout partout partout, parce que j’ai comme à peu près 80 boutons là.
Tout d’un coup, Fred excite le controllerist qui sommeil à yeux mi-clos en moi. Je veux en savoir plus.

Joues-tu des mélodies que tu n’as pas prévu ?
Ouais je pianote sérieusement quand j’active le vocoder ou le Corpus. Ça, ça faisait partie de mon gros défi : Comment faire le son d’une brosse qui devienne une mélodie ? Comment traduire du noise en mélodie, dans le fond.

Il y a un plugin qui est bien pour ça. C’est fait par Tim Exile et édité par Native Instruments, ça s’appelle The Mouth.
The Mouth, oui il est cool, mais pour moi c’est un peu cheesy. Avec le Corpus dans Live je peux rentrer un feed audio dedans, puis il va me le transformer… c’est du physical modeling. Ensuite je peux envoyer un signal midi pour jouer des notes avec. Donc quand le peintre commence a brosser ça fait « sshhwwooooooouuuu boouu wouuuu ». Je joue des mélodies très simples.
Il y a donc une dimension improvisée dans les mélodies, ce qui est assez rare parmi les artistes que j’ai interviewé par le passé (voir, par exemple, mon entrevue avec Leonxleon). En règle générale, ce qui est improvisé, ce sont les effets, mais rarement les mélodies ou les rythmes. En fait, tout ce qui est « timé » est rarement improvisé du fait de la relation étroite qu’observe ce type d’éléments avec la structure de la pièce. Pfreud me confirme par ailleurs qu’il n’y a aucune structure particulière. Ce dernier construit l’oeuvre sonore par vagues d’environ 15 minutes lors desquelles il superpose ses divers enregistrements de brosse. Une « vague » contient généralement 7 boucles ayant chacune un effet différent. Une fois satisfait de l’ensemble, Pfreud l’enregistre sur une huitième piste qu’il filtre pour en faire un background sonore par dessus lequel il va reconstruire une nouvelle vague. Ce chiffre de 8 n’est pas anodin, puisqu’il correspond aux nombre de pistes auxquelles il a accès en direct sur son APC40 : « L’APC40 est cool… tu peux assigner un tas de trucs sur les rotatifs, mais il faut que tu changes de page, il faut que tu appuies sur « next page » et je ne veux pas de sous-menus, je veux que tout soit là. C’est pour ça que j’ai 80 boutons, c’est pour ça que j’utilise aussi tous les autres contrôleurs ».

Le peintre joue un rôle déterminant dans ce processus de création live, puisque les formes qu’il dessine ou les techniques qu’il emploie génèrent à chaque fois une forme d’onde différente, mais pas si inattendue pour autant, selon Pfreud.
Tu sais, je commence à connaître sa façon de peindre, sa façon de rythmer ses coups de pinceau. Lui commence à connaître ma façon de construire la musique, donc on s’inspire mutuellement. J’ai aussi des mélodies déjà « écrites ». Une fois j’ai fais la bass line de Sweet Dreams [NDLR : Eurythmics] pour rire, donc il peignait la bass line de Sweet Dreams. Ça ce n’était pas improvisé, on l’a fait pour rire, pour le clin d’œil. Ce qui est intéressant avec ce projet là, c’est de démontrer la démarche. C’est la demarche qui est cool. La musique que ça donne, oui, ça groove, c’est le fun. La peinture que ça donne, oui, c’est nice, mais c’est le tout qui est cool, donc c’est aussi important d’être démonstratifs.

 

L’importance du geste

Cette histoire de démonstrativité m’offre un parfait pont vers le sujet du geste. Pour le projet Électro-Acrylique, le défi est double. Comme pour la plupart des projets de musique électronique live, il est important de communiquer au public ses intentions, surtout lorsqu’on lui soumet une nouvelle approche créatrice : Qui fait quoi ? Comment le son est-il produit ? Qu’est-ce qui est improvisé et qu’est-ce qui ne l’est pas ? À défaut de fournir une notice d’explication en début de show, les artistes ont la possibilité de clarifier leur démarche sur scène afin de créer une complicité. Les stratégies de Pfreud et Alec sont multiples. Alec, lorsqu’il peint, effectue volontairement des gestes amples et expressifs afin d’appuyer la corrélation geste-son et, ultimement, peinture-son. Un dispositif de caméras aide également le public à assimiler les correspondances.
L’aspect visuel est important, car il faut que les gens comprennent ce qu’il se passe, sinon certains vont dire que ça a l’air d’un DJ qui joue avec un peintre. Donc sur le ventre à Alec on a accroché une GoPro qui filme son mouvement. L’image est ensuite acheminée au VJ qui la diffuse. On a pas réussi a pousser notre concept au max encore, car on a une GoPro sur mon setup et une GoPro sur ses pots de peinture. Idéalement on aimerait envoyer le feed de toutes les GoPro au VJ pour que les gens comprennent que moi je fais plein d’affaires en même temps, que le peintre fait plein d’affaires en même temps et que tout se passe en même temps, mais le plus loin qu’on a réussi à pousser, c’est le feed d’une seule GoPro, celle située sur le ventre à Alec. Elle est diffusée en live avec une latence de 4/5 secondes, mais les gens voient les sons de brosse dans la rythmique, donc ils comprennent que moi je prend le son des brosses.
Le deuxième défi repose, on l’a vu, sur la richesse du contenu sonore. Contrairement à la plupart des performances cette fois-ci, la présence du peintre engage une méthode de création qui ne peut que différer des méthodes d’agencement sonore usuelles. Il ne s’agit pas seulement de la forme d’onde générée, mais aussi de la manière de convertir ce qui se trouve être les gestes d’un peintre en une entité musicale cohérente et, comme aime le dire Pfreud, groovy. Dans les cas d’école, le musicien live choisi toujours librement de quelle manière il altère les paramètres du son : déclenchement, arrêt, augmentation de la valeur, diminution de la valeur, etc. Ici, Pfreud doit construire à partir d’une structure de gestes préalables conditionnée par l’élaboration d’une peinture en direct. Le geste du peintre incite alors les artistes à imaginer des processus de création nouveaux, de sortir de leur zone de confort et oser l’inattendu, l’exploratoire : « Alec produit mes sons et produit des rythmes que j’aurais jamais produit moi-même. Ça m’amène complètement ailleurs. Les gens qui entendent notre projet me disent que c’est complètement différent de ce que je fais habituellement ».

 

La contamination organique

Quand on s’engage dans un projet expérimental parallèlement à des activités de création plus convenues, il arrive souvent qu’une contamination opère. J’ai alors voulu savoir si le projet Électro-Acrylique avait influencé sa pratique DJ ou sa façon de créer de la musique chez lui et, si oui, dans quelle mesure.
La pratique DJ m’a vraiment donné un coup de main au niveau de la structure de la musique : au niveau du punch, du momentum. Ça m’a beaucoup aidé dès le début du projet Électro-Acrylique. Mais le contraire, c’est à dire d’amener le projet à ma pratique DJ, hmmm… alors ce serait inconscient. J’en prend avantage quand je compose de la musique a la maison ! ma rapidité de travail est bien meilleure, ma rapidité d’exécution s’est vraiment améliorée et ça m’aide dans ma démarche de composition.

Aux pieds du peintre...

Après une courte réflexion, le visage de Pfreud s’illumine lorsqu’il me confie avoir également intégré la méthode de création live à ses deux derniers projets studio.
Dans les deux dernières prods, j’ai composé toutes mes parties, j’ai trouvé mes sons,  ma bassline, mes rythmes, puis je me suis dit « ok là, je baisse tous mes volumes, j’assigne tous mes volumes à des potards, mutes et unmutes sur des boutons, puis je pars ». Je lance une séquence, je lance l’autre, j’enregistre, je réécris le morceau mais avec le bon momentum. Je me dis « ah ça fait assez longtemps que je le joue, j’enlève celui-ci puis je rentre ces deux là, ah maintenant il y a un changement…. ». Je n’étais plus là, à me dire « de bar 1 à 17 c’est ça, ça c’est la, etc. ». Je vais beaucoup plus organique et ça fait vraiment une différence, sérieusement.

mardi 30 juin 2015

EA @ AIM electronic music festival 2015

Le Projet Électro-Acrylique était au festival de musique électronique AIM 2015, au Parc Carillon, à St-André d'Argenteuil, ce vendredi 26 juin 2015.

Voici un aperçu de la performance en images. 
EA@AIM electronic music festival 2015 (www.aimexperience.com)
photo : Alexis Leduc (BLVD www.blvd-mtl.com)